Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

notre entretien je vois sortir du cerveau de cet homme, des foules d’idées neuves & de grandes vues sur ce même sujet qui m’en avoit fourni si peu. Je ne suis pas assez stupide pour ne pas sentir l’avantage de ses vues & de ses idées sur les miennes ; je suis donc forcé de sentir intérieurement que cet homme a plus d’esprit que moi, & de lui accorder dans mon cœur une estime sentie, supérieure à celle que j’ai pour moi. Tel fut le jugement que Philippe second porta de l’esprit d’Alonzo Perez, & qui fit que celui-ci s’estima perdu.

Helvétius veut appuyer son sentiment d’un exemple & dit :*

[*Pag. 69 note] “En poésie Fontenelle seroit sans peine convenu de la supériorité du génie de Corneille sur le sien, mais il ne l’auroit pas sentie. Je suppose pour s’en convaincre, qu’on eût prié ce même Fontenelle de donner, en fait de poésie, l’idée qu’il s’étoit formée de la perfection ; il est certain qu’il n’auroit en ce genre proposé d’autres règles fines que celles qu’il avoit lui-même aussi bien observées que Corneille.” Mais Rousseau objecte à cela : II ne s’agit pas de règles, il s’agit du génie qui trouve les grandes images & les grands sentimens. Fontenelle auroit pu se croire meilleur juge de tout cela que Corneille, mais non pas aussi bon inventeur ; il étoit fait pour sentir le génie de Corneille & non pour l’égaler. Si l’auteur ne croit pas qu’un homme puisse sentir la supériorité d’un autre dans son propre genre, assurément il se trompe beaucoup ; moi-même je sens la sienne, quoique je ne sois pas de son sentiment. Je sens qu’il se trompe en homme qui a plus d’esprit que moi. Il a plus de vues, & plus lumineuses, mais