Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/41

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sont entendre sans obstacle, & si le tumulte des passions nous empêche quelquefois d’écouter ces conseillers importuns, la crainte des loix nous rend justes, notre impuissance nous rend modérés ; en un mot, tout ce qui nous environne nous avertit de nos fautes, les prévient, nous en corrige, ou nous en punit.

Les Princes n’ont pas sur ce point les mêmes avantages. Leurs devoirs sont beaucoup plus grands, & les moyens de s’en instruire beaucoup plus difficiles. Malheureux dans leur élévation, tout semble concourir à écarter la lumiere de leurs yeux & la vertu de leurs cœurs. Le vil & dangereux cortege des flatteurs les assiége dès leur plus tendre jeunesse ; leurs faux amis intéressés à nourrir leur ignorance, mettent tous leurs soins à les empêcher de rien voir par leurs yeux. Des passions que rien ne contraint, un orgueil que rien ne mortifie leur inspirent les plus monstrueux préjugés, & les jettent dans un aveuglement funeste que tout ce qui les approche ne fait qu’augmenter : car, pour être puissant sur eux, on n’épargne rien pour les rendre foibles & la vertu du maître sera toujours l’effroi des courtisans.

C’est ainsi que les fautes des Princes viennent de leur aveuglement plus souvent encore que de leur mauvaise volonté, ce qui ne rend pas ces fautes moins criminelles & ne les rend que plus irréparables. Pénétré dès son enfance de cette grande vérité, le Duc d’Orléans travailla de bonne heure à écarter le voile que son rang mettoit au devant de ses yeux. La premiere chose qu’on lui avoit apprise, c’est qu’il étoit un grand Prince ; ses propres réflexions lui apprirent encore qu’il