Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/447

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le crois, parce qu’il s’attendoit que son nouvel ami réaliseroit, à sa fantaisie, ou selon ses souhaits, les services qu’il en espéroit.

Madame Déshoulieres dit que, chacun parle bien de la reconnoissance, mais que peu de gens en sont voir : elle a raison ; parce que peu de gens s’en rendent dignes.

Il y a dans le cœur de la plupart des hommes, & sur-tout dans le plus grand nombre des Gens de Lettres, beaucoup trop d’amour -propre ou de vaine gloire, trop de fausse délicatesse & de présomption pour qu’ils puissent être vraiment reconnoissans. Pareillement dans le nombre de ceux que la fortune favorise, il y a trop d’impériosité & d’ostentation dans la maniere avec laquelle ils sont couler leurs bienfaits, pour qu’un leur né sensible ne s’en trouve pas un peu blessé. Quel appareil peut-on appliquer sur cette plaie ? sinon d’oublier généreusement le titre de bienfaiteur, pour ne se parer en silence que de celui d’homme libéral & bienfaisant. M. Fagel, l’immortel Fagel,*

[*Greffier des Etats Généraux, oncle de celui de même nom, qui remplit aujourd’hui le même emploi.] l’homme du monde, ou plutôt le particulier qui se distinguoit avec le moins d’éclat par l’effusion d’une multitude de bienfaits & d’œuvres pies, soutenoit qu’il n’avoit jamais trouvé des ingrats.

Il y a des cœurs nobles & solidement vertueux, formés par la probité & par la sensibilité, qui trouvent de la grandeur d’ame à témoigner leur reconnoissance ; il en est de même qui, poussés par les mêmes vertus, trouvent un plaisir inexprimable