Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/448

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à rendre des services promts & efficaces ; qui ne cherchent leurs récompenses que dans la joie secrete qui se glisse au fond de leur ame, à mesure qu’ils partagent le pouvoir de la Providence, en faisant du bien aux hommes. Ceux -ci sûrs de ne jamais faire des ingrats, sont ordinairement ceux à qui une pure & vraie reconnoissance vient rendre l’hommage le plus sincere,

M. Rousseau, à ce que je pense, n’a refusé les services que l’orgueil, l’amour-propre & l’opulence lui présentoient, que parce qu’il appréhendoit d’être humilié par la hauteur, le dédain & les froideurs qui ordinairement les précédent ou les accompagnent. Il sentoit peut-être plus vivement qu’un autre l’impossibilité qu’il y avoit d’être véritablement reconnoissant, quand on acceptoit des graces à ce prix -là.

Lorsque la sagesse & la raison agissent de concert pour régler les penchans des hommes, le cœur devient le siege de la gratitude, l’ame ne respire que tendresse & sensibilité, & l’esprit ne sert plus alors qu’à mettre le sentiment en œuvre, & porte la délicatesse jusqu’à épargner à l’infortuné le soin de se mettre en frais de reconnoissance. Quand celle-ci est sincere, elle n’attend pas qu’on la recherche : elle se fait gloire de paroître ; son émotion est visible, elle n’évite pas, mais elle court au devant du bienfaiteur. Eh ! pourquoi s’abstient-elle ordinairement de faire ce trajet ? c’est alors que l’opulence orgueilleuse la voudroit toujours voir à ses pieds. On peut inférer de là, que la plupart de ceux que l’on oblige ne sont ingrats, qu’à cause qu’ils n’envisagent la reconnoissance que comme une servitude qui fait expirer de honte & de regrets l’amour-propre, l’orgueil & la fausse délicatesse.