Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/499

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vous fixiez votre chere gouvernante. Votre aveuglement sur sa conduite vis-à-vis de vos voisins & de vos locataires prouvoit assez la bonne opinion que vous aviez de ses prétendus sentimens délicats. Celle-ci avoit une ame, sans doute, & peut-être étoit-ce un présent que vous lui faisiez par reconnoissance. Mais vous le savez, les beaux sentimens ne peuvent émaner que d’une belle ame, & puis-je vous demander si Mademoiselle le Vasseur, s’en est toujours glorifiée ?

Je sais bien que le Maréchal d’A. n’eût pas plus d’empire sur l’esprit de sa Souveraine que votre gouvernante en a sur le vôtre. Permettez-moi de le prouver par le récit d’une anecdote récitée sur les lieux, par des gens dignes de foi.

Cette souveraine qui donnoit des loix à votre cuisine & à votre conduite, n’avoit pas moins de pouvoir sur votre confiance que sur votre trop aveugle crédulité. Bien persuadée que vous ne la démentiez jamais, n’eût-elle pas la lâcheté d’accuser une personne estimée par une probité reconnue, d’avoir détourné d’un certain tiroir un louis d’or neuf quoique l’innocence ne s’abaisse pas toujours à se justifier, elle cherche cependant quelque consolation à le faire avec cet esprit de douceur & de naïveté qui lui est naturel. L’accusée s’adresse à vous en se déclarant innoncente & incapable d’une telle bassesse ; elle s’imagine que l’Auteur d’un chef-d’œuvre, qui traite de l’éducation, doit être assez prudent pour suspendre son jugement jusqu’après un très-amplement informé, qu’enfin il sera assez judicieux pour ne pas imiter les juges de Calas, ou tout au moins pour ne pas prononcer un arrêt sans préalablement avoir ouï le demandeur & le défendeur.