Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/555

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Si je veux essayer de leur persuader que bien loin d’imiter les perturbateurs de la littérature, je m’efforce à fuir leur exemple, ils me répondent que les bons doivent souffrir pour les méchans : ils répètent dix fois de suite, nous avons été trompés, nous craignons encore de l’être. C’est à ces Messieurs à qui vous auriez dû adresser cette belle réflexion que vous avez un peu déplacée ; je la répété à dessein. Faudra-t-il donc fuir tous les hommes, vous pouviez ajouter & tous les gens de Lettres, parce qu’il s’en trouve de traîtres & d’ingrats ? faudra-t-il faire divorce avec la société, parce que la société qui est la nature morale a ses monstres, comme la nature physique a les siens ? Je le sais par expérience, quelque clair-voyant que l’on soit, rien n’est plus difficile que de pénétrer de prime abord le germe de la folie, & que le plus sage pourroit s’y méprendre ; mais quand on voit qu’un homme lettré ou même non lettré, s’est singularisé à plusieurs reprises par des traits qui indiquent cette maladie, la charité veut que l’on contribue autant qu’il est possible à sa guérison, & la prudence ordonne d’un autre côté, quand le mal est incurable, de s’en séparer pour toujours ; mais on ne finit pas ainsi que M. Hume l’a fait. On ne le cite pas devant le tribunal du public pour l’accuser de méchanceté & d’ingratitude : on ne le déshonore pas par des calomnies injurieuses ; bien loin de-là : on le plaint, on lui tend même des secours, ensuite en élevant les yeux au ciel on lui rend grace de ce qu’il nous a garantis d’un pareil accident. Ne voit-on pas tous les jours que des revers accablans n’affectent l’ame de certains génies avec tant d’excès, que pour rompre avec plus de force les ressorts qui réglent les opérations de l’esprit ?