Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/146

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Qui doute que l’inégalité des conditions ne soit fondée d’abord sur la qualité de pere, de mere, ou d’enfans, ensuite sur celle d’aîné ou de cadet, & puis encore sur la diversité des talens ? Dieu même & Samuel sort prophète sont observer aux Juifs que celui qu’il leur donne pour Roi, surpasse les plus grands du peuple de toute la tête & que c’est d’ailleurs un bon caractere d’homme. Effectivement Saül avoit de quoi faire un bon & un grand Roi. Il le fut même deux ans, tandis qu’il fut soumis aux ordres de Dieu & à la direction du prophète, & qu’il ne porta pas la main à l’encensoir,&c.

Pourquoi donc, si l’inégalité est fondée sur les talens mêmes, inégaux & divers, que Dieu seul donne à ceux qu’il veut rendre inégaux & divers de condition, pourquoi prétendre par une conséquence identique, que l’inégalité est vicieuse & le vice même. Il ne peut jamais y avoir que le mauvais usage ou l’abus de ces talens naturels, qui soit vicieux : & de même la société qui est bonne par elle-même, & d’institution naturelle & divine, ne peut jamais être mauvaise que par les abus. Un fruit est bon, mais si on le laisse trop sur l’arbre ou si on l’en détache trop tôt, il n’y a qu’à dire que c’est l’arbre qui le pourrit ou le gâte, & que sa production & sa maturité fut le premier ou le dernier pas vers sa récolte, & vers sa pourriture & sa corruption par conséquent.

Quand on attaque ainsi tout l’univers, Dieu & les hommes, si faudroit - il se piquer de raisonner plus philosophiquement, avec plus de raison & de justesse. Je suis, Monsieur, votre, &c.