Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/16

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Les hommes s’instruisirent par leurs malheurs. Des miseres de l’égalité & de l’indépendance naquirent la subordination politique & la puissance civile : ici l’histoire commence à mériter confiance ; elle est fondée sur quelques faits ; mais, je le répete encore, on ne peut trop se défier de nos préjugés éternels en faveur de l’antiquité : à peine avons-nous commencé à en secouer le joug dans ce siecle, le premier qui peu digne du nom de philosophe.

Je ne fais point usage des traditions vagues qui nous sont restées sur quelques peuples de l’antiquité. Il est aisé de donner de grandes idées d’une nation, lorsqu’on ne fait que citer quelques-unes de ses loix : c’est par ses actions seules qu’on peut la connoître : tous ces éloges de la vertu des anciens Crétois, de l’innocence des Scythes & des Perses sont sans preuves dès qu’ils sont sans faits ; écrits à une longue distance de tans & de lieux, on y trouve les jugemens de l’ignorance ornés par l’imagination. Cette pureté sans mélange dans de grands peuples est faite pour être admirée, & non pour être crue ; on n’y reconnoît point la nature humaine ; ce sont des romans de vertu qui peuvent servir à l’édification des foibles, mais qui ne sauroient instruire les sages.

Les peuples les plus illustres parmi les anciens, ont été les Grecs & les Romains ; ce sont eux aussi dont l’histoire nous a conservé les plus grands détails ; on prétend qu’ils surent d’abord ignorans & vertueux, & c’est leur exemple qu’on oppose principalement à nos mœurs actuelles : cependant dès les premiers tans où l’histoire commence à se mêler avec la fable, lorsque la précieuse ignorance des Grecs étoit encore dans