Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/19

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avec lui : la prospérité, comme il arrive toujours, détendit ce puissant ressort qui avoit remué toutes les ames : on voulut se reposer dans la gloire : aussi-tôt chacun retourna à ses passions enflammées par le bonheur : l’orgueil d’Athenes, la dureté de Sparte, la jalousie & l’ambition de toutes deux, allumèrent une guerre sanglante, & également honteuse aux deux peuples.

Dans les plus beaux jours d’Athenes, on est bien éloigné de trouver cette pureté de mœurs que le préjugé veut lui prêter ; ce peuple étoit dès-lors vain, présomptueux, léger, inconstant, divisé en autant de factions, qu’il y avoit de citoyens qui cherchaient à s’élever ; la République portait déjà dans son sein les vices que la prospérité ne fit que développer dans la suite.

Il n’y avoit que la corruption du plus grand nombre des citoyens, qui eût pu faire supporter la tyrannie de Pisistrate & de ses fils : Thémistocle étoit ardent, jaloux, ennemi né de tout citoyen vertueux ; son faste & son ambition pailloient & déchiroient la patrie sauvée par son courage : Aristide étant employé au maniement des deniers publics, n’étoit environné que de collégues infideles ; Thémistocle lui-même enrichi à force de rapines poussa la scélératesse au point de l’accuser de malversation, & parvint & faire condamner, à force de brigues & de cabales, le plus honnête homme de la République. Le même Aristide fut banni ensuite par un peuple las de l’entendre appeller le juste : il méritoit en effet ce titre par ses vertus privées, quoiqu’il ne portât pas le même scrupule dans les affaires publiques, & qu’il ne craignit pas faire passer un décret, en disant : il n’est pas juste, mais il est