Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/21

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on avoit le droit d’enlever la fille que l’on aimoit ; on empruntoit la femme dont on avoit envie, & les dames de Lacédémone employoient leurs esclaves pour faire des sujets à la République, lorsque leurs maris étoient trop long-tans à la guerre : on avoit prévenu les fureurs de la jalousie en permettant l’adultere ; l’honnêteté & la pudeur ne pouvoient jamais être violées, puisqu’on les avoit bannies : l’habillement des femmes laissoit voir leurs cuisses découvertes ; elles étoient obligées de danser & de lutter toutes nues, avec les jeunes gens aussi tout nus, dans les fêtes publiques. Avec de pareils spectacles, on conçoit sans peine que Sparte a dû mépriser ceux d’Euripide & de Sophocle ; l’amitié même des jeunes gens entr’eux étoit si singuliérement favorisée par les loix, qu’on n’imagine point qu’elle pût se conserver innocente. Xénophon convient de la mauvaise idée qu’on en avoit, & n’ose en entreprendre la justification.

Les enfans d’une constitution foible & délicate, étoient précipités par des barbares qui ne voyoient dans l’homme que le corps, & qui plaçoient toute leur âme dans leurs bras : ce législateur qui partagea les biens avec une si scrupuleuse égalité, par un contraste monstrueux, établit entre les hommes même, la plus barbare inégalité qui fût jamais ; son peuple fut divisé en maîtres & en esclaves ; il imposa aux premiers, pour distinction, une oisiveté inviolable, & ne leur permit aucun autre art que celui de verser le sang de leurs ennemis ; les autres dégradés de leur être furent livrés à tous les caprices d’inhumanité de ceux que la nature avoit faits leurs égaux, mais que la loi rendoit maîtres de leur vie.