Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/22

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Enfin Lycurgue avoit eu tant d’attention à prévenir toute espece de cupidité, qu’ayant banni l’or & l’argent & tous les meubles de prix, il autorisa le vol des alimens, les seules choses volables qui restassent dans sa ville. Ce peuple conserva fidellement ses loix pendant une longue suite d’années ; je demanderois volontiers : que pouvoit-il faire de mieux ? Elles avoient calmé habilement toutes les passions ; mais c’étoit en les satisfaisant, & détruit la plupart des vices, en leur donnant simplement le nom de vertus ; ceux même auxquels notre misérable corruption, n’a pu atteindre, & dont elle a la foiblesse d’avoir horreur, étoient imposés comme des devoirs d’habitude : telles sont les mœurs qui excitent l’admiration & les regrets de nos adversaires ; telles sont les armes avec lesquelles ils croient nous terrasser.*

[*J’ai dit que si tous les Etats de la Grecque avoient suivi les mêmes loix que Sparte, le fruit des talens & des travaux de ses grands hommes, & l’exemple & l’émulation de leurs vertus, eussent été perdus pour la postérite, & qu’enfin le monde, sans le secours des arts & des sciences, seroit demeuré dans une enfance éternelle.

Un raisonnement si évident ne pouvoit être réfuté ; on a voulu le rendre ridicule : on a supposé pour cela que dans mes principes, la vertu n’étoit bonne qu’à faire du bruit dans le monde, qu’il ne serviroit de rien d’être gens de bien si personne n’en parloit après que nous ne serons plus, & qu’enfin si l’on ne célébroit les grands hommes, il seroit inutile de l’être.

Oui, il seroit inutile à la postérité que de grandes vertus eussent existé, si le souvenir n’en eût été conservé jusqu’à elle ; c’est ce que j’ai dit, & ce que je persiste à dire : niais que la vertu soit inutile à ceux même qui la pratiquent, si elle ne fait du bruit & si elle n’est célébré, c’est ce que je n’ai jamais ni pensé ni dit, & c’est pourtant ce qu’on me fait dire par la bouche d’un Lacédémonien mal instruit de l’état de la question.]

Si nous considérons Rome à sa fondation, elle ne fut d’abord