Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/303

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les trois grands rapports dont j’ai parlé plus haut, sont la mesure de ses idées, celle de ses discours & de ses actions. Il n’envisage rien que sous cet aspect ; il parle & agit constamment d’après ces impressions seules qui animent son intelligence.

Quelle n’est pas aussi la puissance de la pensée dans un homme de cet ordre ? Certes, quoi qu’on en dise, elle est bien supérieure à toutes les forces physiques de la terre, même les plus importantes ; & il ne faut pas s’y tromper. Le maître de dix, de vingt millions d’hommes, a dans ses mains toute cette masse de forces. Il en dispose à sa voix ou sur la simple inspection de son ordre effet surprenant, mais cependant juste & salutaire d’une loi constitutive qui donne à un seul homme ce grand ressort de pouvoir, par le seul effet de l’opinion : un produit aussi étonnant est la mesure de la puissance de la loi.

Malgré cela le sage, oui le sage tout seul, le philosophe, le législateur, & sur-tout ce dernier, sont bien plus puis puissans encore. Si leur pensée se grave, si elle fait autorité parmi les hommes, elle peut agir, & agit en effet sur une partie de l’univers. Elle embrasse tous les tems comme tous les lieux ; elle détruit même, lorsqu’elle ne fortifie pas, toute autre espece de puissance. En un mot, rien n’est égal à sa force, parce qu’elle est celle même de toute l’intelligence humaine, c’est-à-dire, qu’elle est sans bornes, de même qu’elle est sans mesure.

Voilà quel est le caractere d’une tête pensante : voilà quel pu être Rousseau, s’il eût obéi avec liberté à l’impulsion

de son génie. Parmi les hommes modernes, il est le seul, avec Montesquieu, qui ait eu l’esprit des anciens législateurs, à la