Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/33

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tue, ou viole à sa fantaisie : l’usage de sacrifier les femmes sur le tombeau de leurs maris, & les esclaves sur celui de leurs maîtres, n’est point une singularité de quelques cantons sauvages : c’est une superstition sanglante qui souille une très-grande partie de la terre : à la Côte d’or, on immole jusqu’à cinq ou six cents personnes à mort des Rois : l’ignorance forge des Dieux qui lui ressemblent & leur prête ses fureurs : elle implore leurs faveurs par des cruautés, & croit les fléchir par le sang. La plupart des Sauvages ne reconnoissent que des Divinités malfaisantes ; leurs Prêtres sont des sorciers, & leurs sacrifices des meurtres : Annasinga Reine d’Angola consultoit le diable par le sacrifice de la plus belle fille qu’elle pût trouver ; elle buvoit un verre de son sang & en faisoit faire autant à ses chefs. Lorsque les Européens leur demandent raison de ces abominations, ne pouvant les justifier, ils répondent, c’est notre usage : ainsi l’ignorance égorge froidement les hommes de sa propre main, sans avoir besoin d’armer leur passions : elle tire ses droits de sa stupidité même, & parvient à consacrer ses crimes en les multipliant.

Si l’ignorance des premiers hommes a produit l’âge d’or, comme on le prétend dans quelques régions de l’Europe, comment n’a-t-elle pas eu les mêmes effets dans ces trois immenses parties de la terre ? ou si ces peuples ont eu aussi un âge d’or à leur origine, comment en conservant si fidellement leur ignorance, leurs vertus primitives ont-elles fait place à tant d’horreurs ?

On nie, & avec raison, que les hommes soient naturellement méchans ; on croit même qu’ils sont naturellement