Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/59

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Plusieurs conditions nouvelles se sont élevées par le commerce & l’industrie, mais l’agriculture n’y a rien perdu, & n’y pouvoit rien perdre : on regrette sans cesse le tems où elle étoit en honneur ; mais quel étoit ce tems ? Dans la Grecque, à Sparte même, elle n’a jamais été exercée que par des esclaves ; à Rome on ne tarda pas à suivre cet exemple. Que nous oppose-t-on donc ? apparemment les siecles fabuleux du commencement du monde : parmi nous, au contraire, si on la considere d’un œil philosophique, elle est peut-être l’état le plus libre & le plus indépendant de la nation, & le seul à l’abri des vicissitudes de la fortune ; si elle a quelque chose à craindre, c’est uniquement de l’excès des impositions.*

[* On s’écrie : il faut des jus dans nos cuisines, voilà pourquoi tant de malades manquent de bouillon ; il faut des liqueurs sur nos tables, voilà pourquoi le paysan ne boit que de l eau ; il faut de la poudre à nos perruques, voilà pourquoi tant de pauvres n’ont point de pain.

Pour que ces objections eussent la force qu’on veut leur donner, il faudroit prouver que les jus, les liqueurs & la poudre causent une disette réelle des choses dont elles sont composées ; mais si au contraire la consommation qu’elles occasionnent, n’a aucune proportion avec l’effet qu’on lui attribue ; si le vin, le bled & le bétail ne manquent point, on doit avouer que ces prétendues causes sont absolument imaginaires.]

Il y a de la pauvreté dans notre constitution actuelle ; mais il y en avoit plus encore, comme je l’ai prouvé, dans les sociétés anciennes ; on en-peut dire autant de toutes celles qui n’ont point nos arts ni notre luxe : d’ailleurs, il est nécessaire qu’il y ait des pauvres dans toute espece de société, parce que le travail en est l’ame, & que le besoin seul peut y forcer la multitude : le travail, il est vrai, doit fournir à