Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/600

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pouvoir vous répondre du même effet sur notre ami, mais qui peut-on attendre d’un homme qui est presque toujours en contradiction avec lui-même, & dont le cœur a toujours été la dupe de l’esprit ? Son état moral a été dès sa plus tendre enfance si peu naturel & si altéré, que son être actuel fait un tout artificiel qui ne ressemble à rien. De tous les hommes qui coexistent avec lui, celui qu’il connoît le moins, c’est lui-même ; tous les rapports de lui aux autres hommes, & des autres hommes à lui sont dérangés ; il a voulu plus de bonheur qu’il n’en pouvoit prétendre : l’excès de ses prétentions l’a conduit insensiblement à cet excès d’injustice que les loix ne condamnent pas, mais que la raison désapprouve. Il n’a pas enlevé le bled de son voisin, il n’a pas pris son bœuf ou sa vache, mais il a fait d’autres rapines pour se donner une réputation que l’homme sage méprise, parce qu’elle est toujours trop chere ; peut-être n’a t-il pas été assez délicat sur le choix des moyens.” (J’en demande pardon à M. Du Peyrou, mais je n’ai pas pu m’empêcher de souligner cette phrase. Juste ciel, c’est M. Tronchin qui raisonne ainsi !) “Les louanges & les cajoleries de ses admirateurs ont achevé ce que ses prétentions immodérées avoient commencé, & croyant être le maître, il est devenu l’esclave de ses encenseurs, son bonheur a dépendu d’eux. Ce fondement trompeur y a laissé des vides immenses ; il s’est accoutumé aux louanges, & à quoi ne s’accoutume-t-on pas ? L’habitude leur a fait perdre un prix imaginaire c’est que la vanité en fait l’estimation, & qu’elle-même compte pour rien ce qu’elle s’approprie, & pour trop ce qu’on lui refuse : d’où il arrive