Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/73

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Nous la louerons sans doute aussi, puisqu’on lui a donné les traits de la vertu : je conviens qu’avec un jugement droit & des inclinations pures, on peut être très-vertueux, sans être savant ; mais ce portrait orné de tant de jolis mots est celui d’un homme & ne peut être celui de tous ; cette rectitude de bon sens, cette perfection de naturel sont les dons les plus rares de la nature, & ne sauroient jamais appartenir à la multitude.

Au reste, ce magnifique portrait porte sur trois suppositions


avons trouvé des méthodes très-utiles pour la découverte de la vérité, dans la logique & la métaphysique, & surtout en physique & en géométrie.

La page suivante suppose éternellement ce qui est en question, c’est-à-dire que toutes les sciences ne sont qu’abus, & que tous les savants sont autant de sophistes ; j’y ai cherché inutilement quelque sorte de preuve ; mais puisqu’on a tant de vénération pour Sourate, & qu’on l’appelle l’honneur de l’humanité parce qu’il fut savant & vertueux, pourquoi est-il impossible que d’autres, hommes réunissent ces deux qualités ? Qu’on en fasse donc un Dieu, si l’on prétend que nous ne puissions pas l’imiter. S’il fut un homme, pourquoi des hommes ne pourraient- ils pas atteindre à sa vertu ? Pourquoi seroient-ils coupables ou sous en y aspirant ? Sourate censuroit l’orgueil de ceux-qui prétendoient tout savoir ; c’est-à-dire, ajoute-t-on, l’orgueil de tous les savans : mais dans quel siecle la défiance, le doute, l’esprit d’examen & de discussion, en un mot les principes mêmes de Sourate ont-ils été plus en regne que de nos jours ? qui pourroit nier la chose ta plus évidente ?

Mais, Sourate disoit lui - même qu’il ne savoit rien ; donc il n’y a ni sciences ni savans : il n’y a plus que de l’ignorance & de l’orgueil. Tout cela n’est qu’une pure chimere : on a avoué ailleurs que Sourate étoit savant, & il croyoit sans doute savoir quelque chose, puisqu’il enseignoit toute la jeunesse d’Athenes ; la modestie qu’il affectoit sur sa science n’étoit qu’une ironie contre les Sophistes qui annonçoient qu’ils savoient tout, & on sait que l’ironie étoit sa figure favorite. Si Sourate a été savant & vertueux, je puis donc le répéter, les sciences n’ont donc pas leurs sources dans nos vices, elles ne sont donc pas toutes nées de l’orgueil, & c’est ce qu’il t’agissoit de prouver. ]