Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/84

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nête pour acquérir des richesses ou de la considération ; ce qui est si manifestement contraire à l’évidence, qu’il seroit ridicule d’entreprendre seulement de le réfuter.

Je n’auroit pas même relevé des propositions si insoutenables, si l’amour de mon siecle & de ma nation ne m’eût fait un devoir de repousser les calomnies dont on veut les flétrir aux yeux de la postérité ou des autres Peuples, près de qui notre silence eût pu passer pour un aveu tacite des crimes qu’on nous impute.

Le beau portrait du Sauvage que l’on trace ensuite avec tant de complaisance, prouve très-bien qu’il n’a pas les vices de la société, parce qu’en effet il ne peut pas les avoir, puisqu’il n’y vit pas ; mais par la même conséquence, il est évident aussi qu’il n’en a ni les vertus ni le bonheur ; il n’y a point de vertus, qui comme nous l’avons dit, ne supposent ou ne produisent l’union des hommes ; la vie sociale est donc la source ou l’effet nécessaire de toute vertu : la vie sauvage qui suppose la haine, le mépris, ou la défiance réciproque, est un état qui dans un seul vice les comprend tous.

On décide encore, que l’homme est ne pour agir & penser, & non pour réfléchir ; la réflexion ne sert qu’à le rendre malheureux, sans le rendre meilleur, &c.

Répondrai-je sérieusement à des conclusions qui marquent si visiblement l’extrémité où l’on est réduit ? Prétendre que l’homme doit penser & ne doit pas réfléchir, c’est dire à-peu-près en termes équivalons qu’il doit penser & ne point penser. D’ailleurs, qu’Auroit, je à répondre ? On ne croit pas pouvoir faire le procès aux sciences sans proscrire en même-tems toute réflexion, c’est-à-dire toute raison & toute vertu, & sans détruire l’essence même de l’ame ; assurément, c’est m’accorder beaucoup plus que je n’Auroit osé souhaiter.

Enfin on conclut qu’on doit laisser subsister & même entretenir avec soin les Académies, les colleges, les universités, les bibliothéques, les spectacles & tous les autres amusemens qui peuvent faire diversion à la méchanceté des hommes, & les empêcher d’occuper leur oisiveté à des choses plus dangereuses &c.

On sont assez les avantages que je pourrois tirer de cette conséquence où on est forcé, ainsi que des motifs qui y ont déterminé ; mais ce discours n’est déjà que trop long. Enfin nous sommes d’accord : il faut conserver & cultiver les lettres, c’est ce que j’avois dit, c’est ce qu’on est contraint d’avouer : quelques traits de satire de plus ou de moins sont désormais toute la différence de nos sentimens à l’égard des sciences : ce n’est pas la peine d’en parler davantage.

Au reste, ce n’est qu’à regret que je suis entré dans ces détails, que j’aurois