Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/108

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marchande de modes qui avoit alors de très jolies filles avec lesquelles nos Messieurs alloient causer avant ou après dîne. Je m’y serois amusé comme les autres, si j’eusse été plus hardi. Il ne falloit qu’entrer comme eux ; je n’osai jamais. Quant à Mde. la Selle, je continuai d’y aller manger assez souvent après le départ d’Altuna. J’y apprenois des foules d’anecdotes très amusantes & j’y pris aussi peu à peu, non, grâces au ciel, jamais les mœurs, mais les maximes que j’y vis établies. D’honnêtes personnes, mises à mal, des maris trompés, des femmes séduites, des accouchemens clandestins, étoient là les textes les plus ordinaires ; & celui qui peuploit le mieux les Enfants-Trouvés étoit toujours le plus applaudi. Cela me gagna ; je formai ma façon de penser sur celle que je voyois en règne chez des gens très aimables & dans le fond très honnêtes gens ; & je me dis : Puisque c’est l’usage du pays, quand on y vit on peut le suivre. Voilà l’expédient que je cherchois. Je m’y déterminai gaillardement, sans le moindre scrupule ; & le seul que j’eus à vaincre fut celui de Thérèse, à qui j’eus toutes les peines du monde de faire adopter cet unique moyen de sauver son honneur. Sa mère, qui de plus craignoit un nouvel embarras de marmaille, étant venue à mon secours, elle se laissa vaincre. On choisit une sage-femme prudente & sûre, appelée Mlle.Gouin, qui demeuroit à la pointe St. Eustache, pour lui confier ce dépôt ; & quand le tems fut venu, Thérèse fut menée par sa mère chez la Gouin pour y faire ses couches. J’allai l’y voir plusieurs fois, & je lui portai un chiffre que j’avois foit à double sur deux cartes dont une fut mise dans