Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/143

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chuchoteries continuelles ; tout étoit mystère & secret pour moi dans mon ménage & pour ne pas m’exposer sans cesse à des orages, je n’osois plus m’informer de ce qui s’y passoit. Il auroit fallu pour me tirer de tous ces tracas, une fermeté dont je n’étois pas capable. Je savois crier & non pas agir ; on me laissoit dire & l’on alloit son train.

Ces tiraillemens continuels & les importunités journalières auxquelles j’étois assujetti, me rendirent enfin ma demeure & le séjour de Paris désagréables. Quand mes incommodités me permettoient de sortir & que je ne me laissois pas entraîner ici ou là par mes connaissances, j’allois me promener seul ; je rêvois à mon grand système, j’en jettois quelque chose sur le papier, à l’aide d’un livret blanc & d’un crayon que j’avois toujours dans ma poche. Voilà comment les désagrémens imprévus d’un état de mon choix me jetèrent par diversion tout-à-fait dans la littérature & voilà comment je portai dans tous mes premiers ouvrages la bile & l’humeur qui m’en faisoient occuper.

Une autre chose y contribuoit encore. Jeté malgré moi dans le monde sans en avoir le ton, sans être en état de le prendre & de m’y pouvoir assujettir, je m’avisai d’en prendre un à moi qui m’en dispensât. Ma sotte & maussade timidité, que je ne pouvois vaincre, ayant pour principe la crainte de manquer aux bienséances, je pris, pour m’enhardir, le parti de les fouler aux pieds. Je me fis cynique & caustique par honte ; j’affectai de mépriser la politesse que je ne savois pas pratiquer. Il est vrai que cette âpreté, conforme à mes nouveaux principes, s’ennoblissoit dans mon ame, y prenoit