Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/151

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plus étrange & cruelle maladie. C’étoit une tumeur dans l’estomac, toujours croissante, qui l’empêchoit de manger, sans que durant très-long-tems on en trouvât la cause & qui finit, après plusieurs années de souffrances, par le faire mourir de faim. Je ne puis me rappeler, sans des serremens de cœur, les derniers tems de ce pauvre & digne homme, qui, nous recevant encore avec tant de plaisir Lenieps & moi, les seuls amis que le spectacle des maux qu’il souffroit n’écarta pas de lui, jusqu’à sa dernière heure, qui, dis-je, étoit réduit à dévorer des yeux le repas qu’il nous faisoit servir, sans pouvoir presque humer quelques gouttes d’un thé bien léger, qu’il falloit rejeter un moment après. Mais avant ces tems de douleur, combien j’en ai passé chez lui d’agréables avec les amis d’élite qu’il s’étoit faits ! À leur tête je mets l’abbé Prevot, homme très aimable & très simple, dont le cœur vivifioit ses écrits, dignes de l’immortalité & qui n’avoit rien dans l’humeur ni dans la société du sombre coloris qu’il donnoit à ses ouvrages ; le médecin Procope, petit Esope à bonnes fortunes ; Boulanger, le célèbre auteur posthume du Despotisme oriental & qui, je crois, étendoit les systèmes de Mussard sur la durée du monde. En femmes, Mde. D

[enis] , nièce de V

[oltaire] , qui, n’étant alors qu’une bonne femme, ne faisoit pas encore du bel esprit ; Mde. Vanloo, non pas belle assurément, mais charmante, qui chantoit comme un ange ; Mde. de Valmalette elle-même, qui chantoit aussi & qui, quoique fort maigre, eût été fort aimable si elle en eût moins eu la prétention. Telle étoit à peu près la société de M. Mussard,