Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/155

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Colin, Mlle. Fel Colette, Cuvilier le Devin ; les chœurs étoient ceux de l’opéra. Je dis peu de chose : c’étoit Jelyotte qui avoit tout dirigé ; je ne voulus pas contrôler ce qu’il avoit fait & malgré mon ton romain, j’étois honteux comme un écolier au milieu de tout ce monde.

Le lendemain, jour de la représentation, j’allai déjeuner au café du grand commun. Il y avoit là beaucoup de monde. On parloit de la répétition de la veille & de la difficulté qu’il y avoit eu d’y entrer. Un officier qui étoit là dit qu’il étoit entré sans peine, conta au long ce qui s’y étoit passé, dépeignit l’auteur, rapporta ce qu’il avoit fait, ce qu’il avoit dit ; mais ce qui m’émerveilla de ce récit assez long, fait avec autant d’assurance que de simplicité, fut qu’il ne s’y trouva pas un seul mot de vrai. Il m’étoit très clair que celui qui parloit si savamment de cette répétition n’y avoit point été, puisqu’il avoit devant les yeux, sans le connaître, cet auteur qu’il disoit avoir tant vu. Ce qu’il y eut de plus singulier dans cette scène fut l’effet qu’elle fit sur moi. Cet homme étoit d’un certain âge ; il n’avoit point l’air ni le ton fat & avantageux ; sa physionomie annonçoit un homme de mérite, sa croix de St. Louis annonçoit un ancien officier. Il m’intéressoit, malgré son impudence & malgré moi : tandis qu’il débitoit ses mensonges, je rougissais, je baissois les yeux, j’étois sur les épines ; je cherchois quelquefois en moi-même s’il n’y auroit pas moyen de le croire dans l’erreur & de bonne foi. Enfin tremblant que quelqu’un ne me reconnût & ne lui en fit l’affront, je me hâtai d’achever mon chocolat sans