Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/191

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des soupers, dans l’éclat des spectacles, dans la fumée de la gloriole, toujours mes bosquets, mes ruisseaux, mes promenades solitaires, venoient, par leur souvenir, me distraire, me contrister, m’arracher des soupirs & des désirs. Tous les travaux auxquels j’avois pu m’assujettir, tous les projets d’ambition, qui, par accès, avoient animé mon zèle, n’avoient d’autre but que d’arriver un jour à ces bienheureux loisirs champêtres, auxquels en ce moment je me flattois de toucher. Sans m’être mis dans l’honnête aisance que j’avois cru seule pouvoir m’y conduire, je jugeois, par ma situation particulière, être en état de m’en passer & pouvoir arriver au même but par un chemin tout contraire. Je n’avois pas un sou de rente : mais j’avois un nom, des talents ; j’étois sobre & je m’étois ôté les besoins les plus dispendieux, tous ceux de l’opinion. Outre cela, quoique paresseux, j’étois laborieux cependant quand je voulois l’être ; & ma paresse étoit moins celle d’un fainéant, que celle d’un homme indépendant, qui n’aime à travailler qu’à son heure. Mon métier de copiste de musique n’étoit ni brillant ni lucratif ; mais il étoit sûr. On me savoit gré dans le monde d’avoir eu le courage de le choisir. Je pouvois compter que l’ouvrage ne me manqueroit pas & il pouvoit me suffire pour vivre, en bien travaillant. Deux mille francs qui me restoient du produit du Devin du village & de mes autres écrits, me faisoient une avance pour n’être pas à l’étroit ; & plusieurs ouvrages que j’avois sur le métier me promettoient, sans rançonner les libraires, des supplémens suffisans pour travailler à mon aise, sans m’excéder & même en mettant à profit les loisirs de la