Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/230

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comment celle pour qui je n’eus jamais aucun secret pouvait-elle en avoir pour moi ! Peut-on dissimuler quelque chose aux gens qu’on aime ? La coterie H[...]e, qui ne me voyoit faire aucun voyage à Paris, commençoit à craindre tout de bon que je ne me plusse à la campagne, & que je ne fusse assez fou pour y demeurer.

Là, commencèrent les tracasseries par lesquelles on cherchoit à me rappeller indirectement à la ville. Diderot, qui ne vouloit pas se montrer sitôt lui-même, commença par me détacher Deleyre, à qui j’avois procuré sa connoissance, lequel recevoit & me transmettoit les impressions que vouloit lui donner Diderot, sans que lui De Leyre en vit le vrai but.

Tout sembloit concourir à me tirer de ma douce & folle rêverie. Je n’étois pas guéri de mon attaque, quand je reçus un exemplaire du poème sur la ruine de Lisbonne, que je supposai m’être envoyé par l’auteur. Cela me mit dans l’obligation de lui écrire & de lui parler de sa pièce. Je le fis par une lettre qui a été imprimée long-temps après sans mon aveu, comme il sera dit ci-après.

Frappé de voir ce pauvre homme, accablé, pour ainsi dire, de prospérités & de gloire, déclamer toutefois amèrement contre les misères de cette vie, & trouver toujours que tout étoit mal, je formai l’insensé projet de le faire rentrer en lui-même & de lui prouver que tout étoit bien. Voltaire, en paraissant toujours croire en Dieu, n’a réellement jamais cru qu’au diable, puisque son dieu prétendu n’est qu’un être malfaisant qui, selon lui, ne prend plaisir qu’à nuire. L’absurdité de cette doctrine, qui saute aux yeux, est sur-tout