Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/247

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elle ; je vis ma Julie en Mde. d’H[...], & bientôt je ne vis plus que Mde. d’H[...], mais revêtue de toutes les perfections dont je venois d’orner l’idole de mon cœur. Pour m’achever, elle me parla de St. L[...]t en amante passionnée. Force contagieuse de l’amour ! en l’écoutant, en me sentant auprès d’elle, j’étois saisi d’un frémissement délicieux, que je n’avois éprouvé jamais auprès de personne. Elle parloit & je me sentois ému ; je croyois ne faire que m’intéresser à ses sentimens quand j’en prenois de semblables ; j’avalois à longs traits la coupe empoisonnée dont je ne sentois encore que la douceur. Enfin sans que je m’en apperçusse & sans qu’elle s’en apperçût, elle m’inspira pour elle-même, tout ce qu’elle exprimoit pour son amant. Hélas ! ce fut bien tard, ce fut bien cruellement brûler d’une passion non moins vive que malheureuse, pour une femme dont le cœur étoit plein d’un autre amour !

Malgré les mouvemens extraordinaires que j’avois éprouvés auprès d’elle, je ne m’apperçus pas d’abord de ce qui m’étoit arrivé : ce ne fut qu’après son départ que, voulant penser à Julie, je fus frappé de ne pouvoir plus penser qu’à Mde. d’H[...]. Alors mes yeux se dessillèrent ; je sentis mon malheur, j’en gémis, mais je n’en prévis pas les suites.

J’hésitai long-temps sur la manière dont je me conduirois avec elle, comme si l’amour véritable laissoit assez de raison pour suivre des délibérations. Je n’étois pas déterminé quand elle revint me prendre au dépourvu. Pour lors j’étois instruit. La honte, compagne du mal, me rendit muet, tremblant devant elle ; je n’osois ouvrir la bouche ni lever