Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/248

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les yeux ; j’étois dans un trouble inexprimable, qu’il étoit impossible qu’elle ne vît pas. Je pris le parti de le lui avouer, & de lui en laisser deviner la cause : c’étoit la lui dire assez clairement.

Si j’eusse été jeune & aimable & que dans la suite Mde. d’H[...]eût été foible, je blâmerois ici sa conduite ; mais tout cela n’étant pas, je ne puis que l’applaudir & l’admirer. Le parti qu’elle prit étoit également celui de la générosité & de la prudence. Elle ne pouvoit s’éloigner brusquement de moi sans en dire la cause à St. L[...]t, qui l’avoit lui-même engagée à me voir : c’étoit exposer deux amis à une rupture & peut-être à un éclat qu’elle vouloit éviter. Elle avoit pour moi de l’estime & de la bienveillance. Elle eut pitié de ma folie ; sans la flatter, elle la plaignit & tâcha de m’en guérir. Elle étoit bien aise de conserver à son amant & à elle-même un ami dont elle faisoit cas : elle ne me parloit de rien avec plus de plaisir que de l’intime & douce société que nous pourrions former entre nous trois, quand je serois devenu raisonnable. Elle ne se bornoit pas toujours à ces exhortations amicales & ne m’épargnoit pas au besoin les reproches plus durs que j’avois bien mérités.

Je me les épargnois encore moins moi-même ; sitôt que je fus seul, je revins à moi ; j’étois plus calme après avoir parlé : l’amour connu de celle qui l’inspire en devient plus supportable.

La force avec laquelle je me reprochois le mien m’en eût dû guérir, si la chose eût été possible. Quels puissans motifs n’appelai-je point à mon aide pour l’étouffer ! Mes