Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/267

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saurois cacher aux moins clairvoyants. Mon air embarrassé devoit lui donner du courage ; cependant elle ne risqua point l’aventure : il n’y eut pas plus d’explication après le souper qu’avant. Il n’y en eut pas plus le lendemain, & nos silencieux tête-à-tête ne furent remplis que de choses indifférentes, ou de quelques propos honnêtes de ma part, par lesquels lui témoignant ne pouvoir encore rien prononcer sur le fondement de mes soupçons, je lui protestois avec bien de la vérité, que s’ils se trouvoient mal fondés, ma vie entière seroit employée à réparer leur injustice. Elle ne marqua pas la moindre curiosité de savoir précisément quels étoient ces soupçons, ni comment ils m’étoient venus, & tout notre raccommodement, tant de sa part que de la mienne, consista dans l’embrassement du premier abord. Puisqu’elle étoit seule offensée, au moins dans la forme, il me parut que ce n’étoit pas à moi de chercher un éclaircissement qu’elle ne cherchoit pas elle-même, & je m’en retournai comme j’étois venu. Continuant au reste à vivre avec elle comme auparavant, j’oubliai bientôt presque entièrement cette querelle, & je crus bêtement qu’elle l’oublioit elle-même, parce qu’elle paroissoit ne s’en plus souvenir.

Ce ne fut pas là, comme on verra bientôt, le seul chagrin que m’attira ma foiblesse ; mais j’en avois d’autres non moins sensibles que je ne m’étois point attirés, & qui n’avoient pour cause que le désir de m’arracher de ma solitude*

[*C’est-à-dire d’en arracher la vieille, dont on avoit besoin pour arranger le complot. Il est étonnant que, durant tout ce long orage, ma stupide confiance m’oit empêché de comprendre que ce n’étoit point moi, mais elle qu’on vouloit à Paris.] à