Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/269

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le calme & la paix dans la retraite, & dont, pour la premiere fois depuis que le monde existe, un écrivain s’avise avec un seul trait de plume, de faire indistinctement autant de scélérats.

J’aimois tendrement Diderot, je l’estimois sincèrement, & je comptois avec une entière confiance sur les mêmes sentimens de sa part. Mais excédé de son infatigable obstination à me contrarier éternellement sur mes goûts, mes penchants, ma manière de vivre, sur tout ce qui n’intéressoit que moi seul ; révolté de voir un homme plus jeune que moi vouloir à toute force me gouverner comme un enfant ; rebuté de sa facilité à promettre, & de sa négligence à tenir ; ennuyé de tant de rendez-vous donnés & manqués de sa part, & de sa fantaisie d’en donner toujours de nouveaux pour y manquer derechef ; gêné de l’attendre inutilement trois ou quatre fois par mois les jours marqués par lui-même, & de dîner seul le soir, après être allé au-devant de lui jusqu’à St. Denis, & l’avoir attendu toute la journée, j’avois déjà le cœur plein de ses torts multipliés. Ce dernier me parut plus grave & me navra davantage. Je lui écrivis pour m’en plaindre, mais avec une douceur & un attendrissement qui me fit inonder mon papier de mes larmes, & ma lettre étoit assez touchante pour avoir dû lui en tirer. On ne devineroit jamais quelle fut sa réponse sur cet article ; la voici mot pour mot. "Je suis bien aise que mon ouvrage vous oit plu, qu’il vous oit touché. Vous n’êtes pas de mon avis sur les hermites ; dites-en tant de bien qu’il vous plaira, vous serez le seul au monde dont j’en penserai :