Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/284

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un fauteuil, s’établit à l’autre coin, tire la petite table entr’eux deux, déplie sa serviette, & se met en devoir de manger sans me dire un seul mot. Mde. D’

[Epina] y rougit & pour l’engager à réparer sa grossièreté, m’offre sa propre place. Il ne dit rien, ne me regarda pas. Ne pouvant approcher du feu, je pris le parti de me promener par la chambre, en attendant qu’on m’apportât un couvert. Il me laissa souper au bout de la table, loin du feu, sans me faire la moindre honnêteté, à moi incommodé, son aîné, son ancien dans la maison, qui l’y avois introduit & à qui même, comme favori de la dame, il eût dû faire les honneurs. Toutes ses manières avec moi répondoient fort bien à cet échantillon. Il ne me traitoit pas précisément comme son inférieur ; il me regardoit comme nul. J’avois peine à reconnoître là le G...., qui chez le P

[rince] de S

[axe] G

[otha] se tenoit honoré de mes regards. J’en avois encore plus à concilier ce profond silence & cette morgue insultante, avec la tendre amitié qu’il se vantoit d’avoir pour moi, près de tous ceux qu’il savoit en avoir eux-mêmes. Il est vrai qu’il ne la témoignoit guère que pour me plaindre de ma fortune, dont je ne me plaignois point, pour compatir à mon triste sort, dont j’étois content & pour se lamenter de me voir me refuser durement aux soins bienfaisans qu’il disoit vouloir me rendre. C’étoit avec cet art qu’il faisoit admirer sa tendre générosité, blâmer mon ingrate misanthropie, & qu’il accoutumoit insensiblement tout le monde à n’imaginer entre un protecteur tel que lui, & un malheureux tel que moi, que des liaisons de bienfaits d’une part & d’obligations