Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

m’étoit chère. Je me suis dit : je gagne un jeune ami ; je me survivrai dans lui, il aimera ma mémoire après moi ; & j’ai senti de la douceur à m’attendrir dans cette idée.

J’ai lu avec plaisir les vers de M. Roustan ; il y en a de très-beaux parmi d’autres fort mauvais ; mais ces disparates sont ordinaires au génie qui commence. J’y trouve beau de bonnes pensées & de la vigueur dans l’expression ; j’ai grand peur que ce jeune homme ne devienne assez bon poete pour être un mauvais prédicateur ; & le métier qu’un honnête homme doit le mieux faire, c’est toujours le sien. Sa pièce peut devenir sort bonne, mais elle a besoin d’être retouchée ; & à moins que M. de Voltaire n’en voulût bien prendre la peine, cela ne peut pas se faire ailleurs qu’à Paris ; car il y a une certaine pureté de goût & une correction de style qu’on n’atteint jamais dans la province, quelqu’effort qu’on fasse pour cela. Je chercherai volontiers quelque ami qui corrige la pièce & ne la gâte pas ; c’est la manière la plus honnête & la plus convenable dont je puisse remercier l’auteur ; mais son consentement est préalablement nécessaire.

Il est vrai, mon ami, que j’espérois vous embrasser ce printemps, & que je compte avec impatience les minutes qui s’écoulent jusques à ma retraite dans la patrie ou du moins à son voisinage. Mais j’ai ici une espèce de petit ménage, une vieille gouvernante de 80 ans qu’il m’est impossible d’emmener, & que je ne puis abandonner, jusqu’à qu’elle ait un asile, ou que Dieu veuille disposer d’elle ; je ne vois aucun moyen de satisfaire mon empressement & le vôtre tant que cet obstacle subsistera.