Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/211

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LETTRE À Mr......

Motiers..... Décembre 1763.

La vérité que j’aime, Monsieur, n’est pas tant métaphysique que morale ; j’aime la vérité, parce que je hais le mensonge ; je ne puis être inconséquent là -dessus que quand je serai de mauvaise foi. J’aimerois bien aussi la vérité métaphysique si je croyois qu’elle fût à notre portée ; mais je n’ai jamais vu qu’elle fût dans les livres, & désespérant de l’y trouver, je dédaigne leur instruction, persuadé que la vérité qui nous est utile est plus près de nous, & qu’il ne faut pas pour l’acquérir un si grand appareil de science. Votre ouvrage, Monsieur, peut donner cette démonstration promise & manquée par tous les philosophes, mais je ne puis changer de principe sur des raisons que je ne connois pas. Cependant votre confiance m’en impose, vous promettez tant, & si hautement, je trouve d’ailleurs tant de justesse & de raison dans votre manière d’écrire, que je serois surpris qu’il n’y en eût pas dans votre philosophie, & je devrois peu l’être avec ma vue courte, que vous vissez où je n’avois pas cru qu’on pût voir. Or, ce doute me donne de l’inquiétude, parce que la vérité que je connois, ou ce que je prends pour elle, est très-aimable, qu’il en résulte pour moi un état très-doux, & que je ne conçois pas comment j’en pourrois changer sans y perdre. Si mes sentimens étoient démontrés, je m’inquiéterois peu