Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/26

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En le lui rendant, M. de Blaire lui dit ces propres mots, qui me furent rendus le même jour : "M. Mathas, voilà un fort beau livre, mais dont il sera parlé dans peu, plus qu’il ne seroit à désirer pour l’auteur." Quand il me rapporta ce propos, je ne fis qu’en rire, & je n’y vis que l’importance d’un homme de robe, qui met du mystère à tout. Tous les propos inquiétans qui me revinrent ne me firent pas plus d’impression ; & loin de prévoir en aucune sorte la catastrophe à laquelle je touchais, certain de l’utilité, de la beauté de mon ouvrage ; certain d’être en règle à tous égards ; certain, comme je croyois l’être, de tout le crédit de Mde. de Luxembourg & même de la faveur du ministère, je m’applaudissois du parti que j’avois pris de me retirer au milieu de mes triomphes, & lorsque je venois d’écraser tous mes envieux.

Une seule chose m’alarmoit dans la publication de ce livre, & cela, moins pour ma sûreté que pour l’acquit de mon cœur. À l’Hermitage, à Montmorency, j’avois vu de près & avec indignation les vexations qu’un soin jaloux des plaisirs des princes fait exercer sur les malheureux paysans forcés de souffrir le dégât que le gibier fait dans leurs champs, sans oser se défendre qu’à force de bruit, & forcés de passer les nuits dans leurs fèves & leurs pois, avec des chaudrons, des tambours, des sonnettes, pour écarter les sangliers. Témoin de la dureté barbare avec laquelle M. le comte de C[haroloi]s faisoit traiter ces pauvres gens, j’avois fait, vers la fin de l’Emile, une sortie contre cette cruauté. Autre infraction à mes maximes qui n’est pas restée impunie.