Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/49

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disproportion d’âge & l’extrême répugnance de la jeune personne me firent concourir avec la mere à détourner ce mariage, qui ne se fit point. Le colonel épousa depuis Mademoiselle Dillan sa parente, d’un caractère & d’une beauté bien selon mon cœur, & qui l’a rendu le plus heureux des maris & des pères. Malgré cela, M. Roguin n’a pu oublier que j’aye en cette occasion contrarié ses désirs. Je m’en suis consolé par la certitude d’avoir rempli, tant envers lui qu’envers sa famille, le devoir de la plus sainte amitié,, qui n’est pas de se rendre toujours agréable, mais de conseiller toujours pour le mieux.

Je ne fus pas long-temps en doute sur l’accueil qui m’attendoit à Genève, au cas que j’eusse envie d’y retourner. Mon livre y fut brûlé, & j’y fus décrété le 18 Juin, c’est-à-dire neuf jours après l’avoir été à Paris. Tant d’incroyables absurdités étoient cumulées dans ce second décret, & l’édit ecclésiastique y étoit si formellement violé, que je refusai d’ajouter foi aux premières nouvelles qui m’en vinrent, & que, quand elles furent bien confirmées, je tremblai qu’une si manifeste & criante infraction de toutes les lois, à commencer par celle du bon sens, ne mit Genève sens dessus dessous : j’eus de quoi me rassurer ; tout resta tranquille. S’il s’émut quelque rumeur dans la populace, elle ne fut que contre moi, & je fus traité publiquement par toutes les caillettes & par tous les cuistres comme un écolier qu’on menaceroit du fouet, pour n’avoir pas bien dit son catéchisme.

Ces deux décrets furent le signal du cri de malédiction