Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/110

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jamais mieux que les sensations ne sont rien que ce que le cœur les fait être. Mais que devins-je un moment après quand je sentis…la main me tremble… un doux frémissement… ta bouche de roses…la bouche de Julie… se poser, se presser sur la mienne, & mon corps serré dans tes bras ! Non, le feu du Ciel n’est pas plus vif ni plus prompt que celui qui vint à l’instant m’embraser. Toutes les parties de moi-même se rassemblerent sous ce toucher délicieux. Le feu s’exhaloit avec nos soupirs de nos levres brûlantes, & mon cœur se mouroit sous le poids de la volupté, quand tout à coup je te vis pâlir, fermer tes beaux yeux, t’appuyer sur ta cousine, & tomber en défaillance. Ainsi la frayeur éteignit le plaisir, & mon bonheur ne fut qu’un éclair.

À peine sois-je ce qui m’est arrivé depuis ce fatal moment. L’impression profonde que j’ai reçue ne peut plus s’effacer. Une faveur ?… c’est un tourment horrible… Non, garde tes baisers, je ne les saurois supporter…ils sont trop âcres, trop pénétrants ; ils percent, ils brûlent jusqu’à la moelle… ils me rendroient furieux. Un seul, un seul m’a jetté dans un égarement dont je ne puis plus revenir. Je ne suis plus le même, & ne te vois plus la même. Je ne te vois plus comme autrefois réprimante & sévere ; mais je te sens & te touche sans cesse unie à mon sein comme tu fus un instant. Ô Julie ! quelque sort que m’annonce un transport dont je ne suis plus maître, quelque traitement que ta rigueur me destine, je ne puis plus vivre dans l’état où je suis, & je sens qu’il faut enfin que j’expire à tes pieds… ou dans tes bras.