Rien ne m’arrête plus ici que vos ordres ; cinq jours que j’y ai passés ont suffi & au delà pour mes affaires ; si toute faison peut appeler des affaires celles où le cœur n’a point de part. Enfin vous n’avez plus de prétexte, & ne pouvez me retenir loin de vous qu’a fin de me tourmenter.
Je commence à être fort inquiet du sort de ma premiere lettre ; elle fut écrite & mise à la poste en arrivant ; l’adresse en est fidelement copiée sur celle que vous m’envoyâtes ; je vous ai envoyé la mienne avec le même soin, & si vous aviez fait exactement réponse, elle auroit déjà dû me parvenir. Cette réponse pourtant ne vient point, & il n’y a nulle cause possible & funeste de son retard que mon esprit troublé ne se figure. Ô ma Julie ! que d’imprévues catastrophes peuvent en huit jours rompre à jamais les plus doux liens du monde ! Je frémis de songer qu’il n’y a pour moi qu’un seul moyen d’être heureux, & des millions d’être misérable [1]. Julie ! m’auriez-vous oublié ? Ah ! c’est la plus affreuse de mes craintes ! Je puis préparer ma constance aux autres malheurs,
- ↑ On me dira que c’est le devoir d’un Editeur de corriger les fautes de langue. Oui bien pour les Editeurs qui font cas de cette correction ; oui bien pour les livres dont on peut corriger le style sans le resondre & le gater ; oui bien quand on est assez sur de sa plume pour ne pas substituer ses propres fautes à celles de l’Auteur. Et avec tout cela : qu’aura-t-on gagné à faire parler un Suisse comme un Académicien ?