Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

embarrassé du choix, & celui qui obtenoit la préférence en paroissoit si content que la premiere fois je pris cette ardeur pour de l’avidité. Mais je fus bien étonné quand, après en avoir usé chez mon hôte à peu près comme au cabaret, il refusa le lendemain mon argent, s’offensant même de ma proposition, & il en a par-tout été de même. Ainsi c’étoit le pur amour de l’hospitalité, communément assez tiede, qu’à sa vivacité j’avois pris pour l’âpreté du gain. Leur désintéressement fut si complet, que dans tout le voyage je n’ai pu trouver à placer un patagon [1]. En effet, à quoi dépenser de l’argent dans un pays où les maîtres ne reçoivent point le prix de leurs fraix, ni les domestiques celui de leurs soins, & où l’on ne trouve aucun mendiant ? Cependant l’argent est fort rare dans le haut-Valais, mais c’est pour cela que les habitans sont à leur aise : car les denrées y sont abondantes sans aucun débouché au-dehors, sans consommation de luxe au-dedans, & sans que le cultivateur montagnard, dont les travaux sont les plaisirs, devienne moins laborieux. Si jamais ils ont plus d’argent, ils seront infailliblement plus pauvres. Ils ont la sagesse de le sentir, & il y a dans le pays des mines d’or qu’il n’est pas permis d’exploiter.

J’étois d’abord fort surpris de l’opposition de ces usages avec ceux du bas-Valais, où, sur la route d’Italie, on rançonne assez durement les passagers, & j’avois peine à concilier dans un même peuple des manieres si différentes. Un Valaisan m’en expliqua la raison. Dans la vallée, me dit-il,

  1. Ecu du pays.