Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/169

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nos feux ; peut-être s’affoibliroient-ils par une maniere de vivre plus dissipée. Toutes les grandes passions se forment dans la solitude ; on n’en a point de semblables dans le monde, où nul objet n’a le tems de faire une profonde impression, & où la multitude des goûts énerve la force des sentimens. Cet état aussi plus convenable à ma mélancolie ; elle s’entretient du même aliment que mon amour ; c’est ta chére image qui soutient l’une & l’autre, & j’aime mieux te voir tendre & sensible au fond de mon cœur, que contrainte distrait dans une assemblée.

Il peut d’ailleurs venir un tems où je serai forcée à une plus grande retraite ; fût-il déjà venu, ce tems désiré ! La prudence & mon inclination veulent également que je prenne d’avance des habitudes conformes à ce que peut exiger la nécessité. Ah ! si de mes fautes pouvoit naître le moyen de les réparer ! Le doux espoir d’être un jour… Mais insensiblement j’en dirois plus que je n’en veux dire sur le projet qui m’occupe. Pardonne-moi ce mystere, mon unique ami, mon cœur n’aura jamais de secret qui ne te fût doux à savoir. Tu dois pourtant ignorer celui-ci ; & tout ce que je t’en puis dire à présent, c’est que l’amour qui fit nos maux, doit nous en donner le remede. Raisonne, commente si tu veux dans ta tête ; mais je te défends de m’interroger là-dessus.