Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/173

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je ne le cache point, ma douce amie, j’aimerois à pénétrer l’aimable secret que tu me dérobes, il n’en fut jamais de plus intéressant pour nous ; mais j’y fais d’inutiles efforts. Je saurai pourtant garder le silence que tu m’imposes, & contenir une indiscrete curiosité ; mais en respectant un si doux mystere, que n’en puis-je au moins assurer l’éclaircissement ! Qui sait, qui sait encore si tes projets ne portent point sur des chimeres ? Chére ame de ma vie, ah ! commençons du moins par les bien réaliser.

P.S. J’oubliois de te dire que M. Roguin m’a offert une compagnie dans le Régiment qu’il leve pour le Roi de Sardaigne. J’ai été sensiblement touché de l’estime de ce brave officier ; je lui ai dit en le remerciant, que j’avois la vue trop courte pour le service, & que ma passion pour l’étude s’accordoit mal avec une vie aussi active. En cela je n’ai point fait un sacrifice à l’amour. Je pense que chacun doit sa vie & son sang à la patrie, qu’il n’est pas permis de s’aliéner à des Princes aux-quels on ne doit rien, moins encore de se vendre & de faire du plus noble métier du monde celui d’un vil mercenaire. Ces maximes étoient celles de mon pere que je serois bienheureux d’imiter dans son amour pour ses devoirs & pour son pays. Il ne voulut jamais entrer au service d’aucun Prince étranger : Mais dans la guerre de I7I2, il porta les armes avec honneur pour la patrie ; il se trouva dans plusieurs combats à l’un desquels il fut blessé ; & à la bataille de Wilmerghen, il eut