Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/196

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résisté par miracle à trois ans de service, en eût-il pu supporter encore autant sans devenir un vaurien comme tous les autres ? Au lieu de cela, ils s’aiment & seront unis, ils sont pauvres & seront aidés ; ils sont honnêtes gens & pourront continuer de l’être ; car mon pere a promis de prendre soin de leur établissement. Que de biens tu as procurés à eux & à nous par ta complaisance, sans parler du compte que je t’en dois tenir ! Tel est, mon ami, l’effet assuré des sacrifices qu’on fait à la vertu ; s’ils coûtent souvent à faire, il est toujours doux de les avoir faits, & l’on n’a jamais vu personne se repentir d’une bonne action.

Je me doute bien qu’à l’exemple de l’Inséparable, tu m’appelleras aussi la prêcheuse, & il est vrai que je ne fais pas mieux ce que je dis que les gens du métier. Si mes sermons ne valent pas les leurs, au moins je vois avec plaisir qu’ils ne sont pas comme eux jettés au vent. Je ne m’en défends point, mon aimable ami, je voudrois ajouter autant de vertus aux tiennes qu’un fol amour m’en a fait perdre, & ne pouvant plus m’estimer moi-même j’aime à m’estimer encore en toi. De ta part il ne s’agit que d’aimer parfaitement, & tout viendra comme de lui-même. Avec quel plaisir tu dois voir augmenter sans cesse les dettes que l’amour s’oblige à payer !

Ma cousine a sçu les entretiens que tu as eus avec son pere au sujet de M. d’Orbe ; elle y est aussi sensible que si nous pouvions, en offices de l’amitié n’être pas toujours en reste avec elle. Mon Dieu, mon ami, que je suis une heureuse fille ! que je suis aimée & que je trouve charmant de l’être ! Pere,