Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/287

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croyez que les soins que la prudence lui dicte vous regardent plus qu’il ne semble, & qu’elle ne se respecte pas moins pour vous que pour elle-même. Alors j’ai tiré ta derniere lettre, & lui montrant les tendres espérances de cette fille aveuglée qui croit n’avoir plus d’amour, j’ai ranimé les siennes à cette douce chaleur. Ce peu de lignes sembloit distiller un baume salutaire sur sa blessure envenimée. J’ai vu ses regards s’adoucir & ses yeux s’humecter ; j’ai vu l’attendrissement succéder par degrés au désespoir ; mais ces derniers mots si touchans, tels que ton cœur les soit dire, nous ne vivrons pas long-tems séparés, l’ont fait fondre en larmes. Non, Julie, non, ma Julie, a-t-il dit en élevant la voix & baisant la lettre, nous ne vivrons pas long-tems séparés ; le Ciel unira nos destins sur la terre, ou nos cœurs dans le séjour éternel.

C’étoit là l’état où je l’avois souhaité. Sa seche & sombre douleur m’inquiétoit. Je ne l’aurois pas laissé partir dans cette situation d’esprit ; mais sitôt que je l’ai vu pleurer, & que j’ai entendu ton nom chéri sortir de sa bouche avec douceur, je n’ai plus craint pour sa vie ; car rien n’est moins tendre que le désespoir. Dans cet instant il a tiré de l’émotion de son cœur une objection que je n’avois pas prévue. Il m’a parlé de l’état où tu soupçonnois être, jurant qu’il mourroit plutôt mille fois que de t’abandonner à tous les périls qui t’alloient menacer. Je n’ai eu garde de lui parler de ton accident ; je lui ai dit simplement que ton attente avoit encore été trompée, & qu’il n’y avoit plus rien à espérer. Ainsi, m’a-t-il dit en soupirant, il ne restera sur la