Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/296

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Réponds-moi maintenant, amante abusée ou trompeuse : que sont devenus ces projets formés avec tant de mystere ? Où sont ces vaines espérances dont tu leurras si souvent ma crédule simplicité ? Où est cette union sainte & désirée, doux objet de tant d’ardens soupirs & dont ta plume & ta bouche flattoient mes vœux ? Hélas ! sur la foi de tes promesses j’osois aspirer à ce nom sacré d’époux & me croyois déjà le plus heureux des hommes. Dis, cruelle ! ne m’abusois-tu que pour rendre enfin ma douleur plus vive & mon humiliation plus profonde ? Ai-je attiré mes malheurs par ma faute ? Ai-je manqué d’obéissance, de docilité, de discrétion ? M’as-tu vu désirer assez foiblement pour mériter d’être éconduit, ou préférer mes fougueux désirs à tes volontés suprêmes ? J’ai tout fait pour te plaire & tu m’abandonnes ! Tu te chargeois de mon bonheur & tu m’as perdu ! Ingrate, rends-moi compte du dépôt que je t’ai confié ; rends-moi compte de moi-même, après avoir égaré mon cœur dans cette suprême félicité que tu m’as montrée & que tu m’enleves. Anges du Ciel ! j’eusse méprisé votre sort. J’eusse été le plus heureux des êtres… Hélas ! je ne suis plus rien, un instant m’a tout ôté. J’ai passé sans intervalle du comble des plaisirs aux regrets éternels : je touche encore au bonheur qui m’échappe…j’y touche encore & le perds pour jamais !… Ah ! si je le pouvois croire ! si les restes d’une espérance vaine ne soutenoient… Ô ! rochers de Meillerie que mon œil égaré mesura tant de fois, que ne servîtes-vous mon désespoir ! J’aurois moins regretté la vie quand je n’en avois pas senti le prix.