Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/316

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la douce joie que je prends chaque jour dans les tiens en nous abordant ? Ne lis-tu pas dans mon cœur attendri le plaisir de partager tes peines & de pleurer avec toi ? Puis-je oublier que, dans les premiers transports d’un amour naissant, l’amitié ne te fut point importune & que les murmures de ton amant ne purent t’engager à m’éloigner de toi & à me dérober le spectacle de ta foiblesse ? Ce moment fut critique, ma Julie ; je sais ce que vaut dans ton cœur modeste le sacrifice d’une honte qui n’est pas réciproque. Jamais je n’eusse été ta confidente si j’eusse été ton amie à demi & nos âmes se sont trop bien senties en s’unissant pour que rien les puisse désormais séparer.

Qu’est-ce qui rend les amitiés si tiedes & si peu durables entre les femmes, je dis entre celles qui sauroient aimer ? Ce sont les intérêts de l’amour, c’est l’empire de la beauté ; c’est la jalousie des conquêtes : or, si rien de tout cela nous eût pu diviser, cette division seroit déjà faite. Mais quand mon cœur seroit moins inepte à l’amour, quand j’ignorerois que vos feux sont de nature à ne s’éteindre qu’avec la vie, ton amant est mon ami, c’est-à-dire mon frere : & qui vit jamais finir par l’amour une véritable amitié ? Pour M. d’Orbe, assurément il aura long-tems à se louer de tes sentiments, avant que je songe à m’en plaindre & je ne suis pas plus tentée de le retenir par force, que toi de me l’arracher. Eh ! mon enfant, plût au Ciel qu’au prix de son attachement, je te pusse guérir du tien ! Je le garde avec plaisir, je le céderois avec joie.

À l’égard des prétentions sur la figure, j’en puis avoir tant