Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/380

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c’est communément dans un certain jargon de société dont il faut avoir la clef pour l’entendre. À l’aide de ce chiffre, on se fait réciproquement & selon le goût du tems, mille mauvaises plaisanteries, durant lesquelles le plus sot n’est pas celui qui brille le moins, tandis qu’un tiers mal instruit est réduit à l’ennui & au silence, ou à rire de ce qu’il n’entend point. Voilà, hors le tête-à-tête, qui m’est & me sera toujours inconnu, tout ce qu’il y a de tendre & d’affectueux dans les liaisons de ce pays.

Au milieu de tout cela, qu’un homme de poids avance un propos grave ou agite une question sérieuse, aussitôt l’attention commune se fixe à ce nouvel objet ; hommes, femmes, vieillards, jeunes gens, tout se prête à la considérer par toutes ses faces & l’on est étonné du sens, & de la raison qui sortent comme à l’envide toutes ces têtes folâtres [1]. Un point de morale ne seroit pas mieux discuté dans une société de philosophes que dans celle d’une jolie femme de Paris ; les conclusions y seroient même souvent moins séveres : car le philosophe qui veut agir comme il parle y regarde à deux fois ; mais ici, où toute la morale est un pur verbiage, on peut être austere sans conséquence & l’on ne seroit pas fâché, pour rabattre un peu

  1. Pourvu, toutefois, qu’une plaisanterie imprévue ne vienne pas déranger cette gravité ; car alors chacun renchérit ; tout part à l’instant & il n’y a plus moyen de reprendre le ton sérieux. Je me rappelle un certain paquet de gimblettes qui troubla si plaisamment une représentation de la foire. Les Acteurs déranges n’étoient que des animaux ; mais que de choses sont gimblettes pour beaucoup d’hommes ! On fait qui Fontenelles a voulu peindre dans l’histoire des Tyrintiens.