Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/407

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savent que des idées de pudeur & de modestie sont profondément gravées dans l’esprit du peuple. C’est là ce qui leur a suggéré des modes inimitables. Elles ont vu que le peuple avoit en horreur le rouge, qu’il s’obstine à nommer grossierement du fard, elles se sont appliqué quatre doigts, non de fard, mais de rouge ; car, le mot changé, la chose n’est plus la même. Elles ont vu qu’une gorge découverte est en scandale au public ; elles ont largement échancré leur corps. Elles ont vu… oh ! bien des choses, que ma Julie, toute demoiselle qu’elle est, ne verra sûrement jamais. Elle sont mis dans leurs manieres le même esprit qui dirige leur ajustement. Cette pudeur charmante qui distingue, honore & embellit ton sexe, leur a paru vile, & roturiere ; elles ont animé leur geste & leur propos d’une noble impudence ; & il n’y a point d’honnête homme à qui leur regard assuré ne fasse baisser les yeux. C’est ainsi que cessant d’être femmes, de peur d’être confondues avec les autres femmes, elles préferent leur rang à leur sexe & imitent les filles de joie, afin de n’être pas imitées.

J’ignore jusqu’où va cette imitation de leur part, mais je sais qu’elles n’ont pu tout à fait éviter celle qu’elles vouloient prévenir. Quant au rouge & aux corps échancrés, il sont fait tout le progres qu’ils pouvoient faire. Les femmes de la ville ont mieux aimé renoncer à leurs couleurs naturelles & aux charmes que pouvoit leur prêter l’amoroso pensier des amants, que de rester mises comme des bourgeoises ; & si cet exemple n’a point gagné les moindres états, c’est qu’une femme à pied dans un pareil équipage n’est pas