Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/427

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de la magnificence de Louis XIV. Il n’est pas si libre à chacun que vous le pensez de dire son avis sur ce grave sujet. Ici l’on peut disputer de tout, hors de la musique & de l’Opéra ; il y a du danger à manquer de dissimulation sur ce seul point. La musique françoise se maintient par une inquisition tres sévere ; & la premiere chose qu’on insinue par forme de leçon à tous les étrangers qui viennent dans ce pays, c’est que tous les étrangers conviennent qu’il n’y a rien de si beau dans le reste du monde que l’Opéra de Paris. En effet, la vérité est que les plus discrets s’en taisent & n’osent rire qu’entre eux.

Il faut convenir pourtant qu’on y représente à grands frais, non seulement toutes les merveilles de la nature, mais beaucoup d’autres merveilles bien plus grandes que personne n’a jamais vues ; & sûrement Pope a voulu désigner ce bizarre théâtre par celui où il dit qu’on voit pêle-mêle des dieux, des lutins, des monstres, des rois, des bergers, des fées, de la fureur, de la joie, un feu, une gigue, une bataille & un bal.

Cet assemblage si magnifique & si bien ordonné est regardé comme s’il contenoit en effet toutes les choses qu’il représente. En voyant paroître un temple, on est saisi d’un saint respect ; & pour peu que la déesse en soit jolie, le parterre est à moitié payen. On n’est pas si difficile ici qu’à la Comédie françoise. Ces mêmes spectateurs qui ne peuvent revêtir un comédien de son personnage ne peuvent à l’Opéra séparer un acteur du sien. Il semble que les esprits se roidissent contre une illusion raisonnable & ne s’y prêtent qu’autant qu’elle est absurde & grossiere. Ou peut-être que des Dieux leur coûtent moins à concevoir que des héros. Jupiter