Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/455

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raillerie & l’on ne vit jamais tant de timidité jointe à une ame aussi intrépide.

Sans vous étaler contre ce défaut des préceptes de morale que vous savez mieux que moi, je me contenterai de vous proposer un moyen pour vous en garantir, plus facile & plus sûr peut-être que tous les raisonnemens de la philosophie ; c’est de faire dans votre esprit une légere transposition de tems & d’anticiper sur l’avenir de quelques minutes. Si, dans ce malheureux souper, vous vous fussiez fortifié contre un instant de moquerie de la part des convives, par l’idée de l’état où votre ame alloit être sitôt que vous seriez dans la rue ; si vous vous fussiez représenté le contentement intérieur d’échapper aux pieges du vice, l’avantage de prendre d’abord cette habitude de vaincre qui en facilite le pouvoir, le plaisir que vous eût donné la conscience de votre victoire, celui de me la décrire, celui que j’en aurois reçu moi-même, est-il croyable que tout cela ne l’eût pas emporté sur une répugnance d’un instant, à laquelle vous n’eussiez jamais cédé, si vous en aviez envisagé les suites ? Encore, qu’est-ce que cette répugnance qui met un prix aux railleries de gens dont l’estime n’en peut avoir aucun ? Infailliblement cette réflexion vous eût sauvé, pour un moment de mauvaise honte, une honte beaucoup plus juste, plus durable, les regrets, le danger ; & pour ne vous rien dissimuler, votre amie eût versé quelques larmes de moins.

Vous voulûtes, dites-vous, mettre à profit cette soirée pour votre fonction d’observateur. Quel soin ! Quel emploi ! Que vos excuses me font rougir de vous ! Ne serez-vous point