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LETTRE XVIII. DE JULIE À SON AMI.

Vous êtes depuis si long-tems le dépositaire de tous les secrets de mon cœur, qu’il ne sauroit plus perdre une si douce habitude. Dans la plus importante occasion de ma vie il veut s’épancher avec vous. Ouvrez-lui le vôtre, mon aimable ami ; recueillez dans votre sein les longs discours de l’amitié : si quelquefois elle rend diffus l’ami qui parle, elle rend toujours patient l’ami qui écoute.

Liée au sort d’un époux, ou plutôt aux volontés d’un pere, par une chaîne indissoluble, j’entre dans une nouvelle carriere qui ne doit finir qu’à la mort. En la commençant, jetons un moment les yeux sur celle que je quitte : il ne nous sera pas pénible de rappeler un tems si cher. Peut-être y trouverai-je des leçons pour bien user de celui qui me reste ; peut-être y trouverez-vous des lumieres pour expliquer ce que ma conduite eut toujours d’obscur à vos yeux. Au moins, en considérant ce que nous fûmes l’un à l’autre, nos cœurs n’en sentiront que mieux ce qu’ils se doivent jusqu’à la fin de nos jours.

Il y a six ans à peu près que je vous vis pour la premiere fois ; vous étiez jeune, bien fait, aimable ; d’autres jeunes gens m’ont paru plus beaux, & mieux faits que vous ; aucun ne m’a donné la moindre émotion, & mon cœur fut à vous