Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/566

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savoir quelquefois de vos nouvelles, & de vous voir parvenir au bonheur que vous méritez. Vous pourrez de tems à autre écrire à Madame d’Orbe dans les occasions où vous aurez quelque événement intéressant à nous apprendre. J’espere que l’honnêteté de votre ame se peindra toujours dans vos lettres. D’ailleurs ma cousine est vertueuse, & sage, pour ne me communiquer que ce qu’il me conviendra de voir, & pour supprimer cette correspondance si vous étiez capable d’en abuser.

Adieu, mon cher, & bon ami ; si je croyois que la fortune pût vous rendre heureux, je vous dirois : "Courez à la fortune" ; mais peut-être avez-vous raison de la dédaigner avec tant de trésors pour vous passer d’elle ; j’aime mieux vous dire : "Courez à la félicité", c’est la fortune du sage. Nous avons toujours senti qu’il n’y en avoit point sans la vertu ; mais prenez garde que ce mot de vertu trop abstrait n’ait plus d’éclat que de solidité, & ne soit un nom de parade qui sert plus à éblouir les autres qu’à nous contenter nous-mêmes. Je frémis quand je songe que des gens qui portoient l’adultere au fond de leur cœur osoient parler de vertu. Savez-vous bien ce que signifioit pour nous un terme si respectable, & si profané, tandis que nous étions engagés dans un commerce criminel ? C’était cet amour forcené dont nous étions embrasés l’un, & l’autre qui déguisoit ses transports sous ce saint enthousiasme, pour nous les rendre encore plus chers, & nous abuser plus longtemps. Nous étions faits, j’ose le croire, pour suivre, & chérir la véritable vertu ; mais nous nous trompions en la cherchant, & ne suivions qu’un vain fantôme. Il est