Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/579

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rendre l’homicide criminel, & que la nature y a mis d’ailleurs un suffisant obstacle.

Mais, disent-ils encore, souffrez patiemment les maux que Dieu vous envoie ; faites-vous un mérite de vos peines. Appliquer ainsi les maximes du christianisme, que c’est mal en saisir l’esprit ! L’homme est sujet à mille maux, sa vie est un tissu de miseres, & il ne semble noître que pour souffrir. De ces maux, ceux qu’il peut éviter, la raison veut qu’il les évite ; & la religion, qui n’est jamais contraire à la raison, l’approuve. Mais que leur somme est petite auprès de ceux qu’il est forcé de souffrir malgré lui ! C’est de ceux-ci qu’un Dieu clément permet aux hommes de se faire un mérite ; il accepte en hommage volontaire le tribut forcé qu’il nous impose, & marque au profit de l’autre vie la résignation dans celle-ci. La véritable pénitence de l’homme lui est imposée par la nature : s’il endure patiemment tout ce qu’il est contraint d’endurer, il a fait à cet égard tout ce que Dieu lui demande ; & si quelqu’’’un montre assez d’orgueil pour vouloir faire davantage, c’est un fou qu’il faut enfermer, ou un fourbe qu’il faut punir. Fuyons donc sans scrupule tous les maux que nous pouvons fuir, il ne nous en restera que trop à souffrir encore. Délivrons-nous sans remords de la vie même, aussitôt qu’elle est un mal pour nous, puisqu’il dépend de nous de le faire, & qu’en cela nous n’offensons ni Dieu, ni les hommes. S’il faut un sacrifice à l’Etre suprême, n’est-ce rien que de mourir ? Offrons à Dieu la mort qu’il nous impose par la voix de la raison, & versons paisiblement dans son sein notre ame qu’il redemande.