Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/590

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un seul citoyen vertueux se délivrer ainsi du poids de ses devoirs, même apres les plus cruelles infortunes. Régulus retournant à Carthage prévint-il par sa mort les tourmens qui l’attendoient ? Que n’eût point donné Posthumius pour que cette ressource lui fût permise aux Fourches Caudines ? Quel effort de courage le sénat même n’admira-t-il pas dans le consul Varron pour avoir pu survivre à sa défaite ! Par quelle raison tant de généraux se laisserent-ils volontairement livrer aux ennemis, eux à qu il’ignominie étoit si cruelle, & à qui il en coûtoit si peu de mourir ? C’est qu’ils devoient à la patrie leur sang, leur vie, & leurs derniers soupirs, & que la honte ni les revers ne les pouvoient détourner de ce devoir sacré. Mais quand les loix furent anéanties, & que l’Etat fut en proie à des tyrans, les citoyens reprirent leur liberté naturelle, & leurs droits sur eux-mêmes. Quand Rome ne fut plus, il fut permis à des Romains de cesser d’être : ils avoient rempli leurs fonctions sur la terre ; ils n’avoient plus de patrie ; ils étoient en droit de disposer d’eux, & de se rendre à eux-mêmes la liberté qu’ils ne pouvoient plus rendre à leur pays. Apres avoir employé leur vie à servir Rome expirante, & à combattre pour les loix, ils moururent vertueux, & grands comme ils avoient vécu ; & leur mort fut encore un tribut à la gloire du nom romain, afin qu’on ne vît dans aucun d’eux le spectacle indigne de vrais citoyens servant un usurpateur.

Mais toi, qui es-tu ? Qu’as-tu fait ? Crois-tu t’excuser sur ton obscurité ? Ta foiblesse t’exempte-t-elle de tes devoirs, & pour n’avoir ni nom ni rang dans ta patrie, en es-tu