Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/161

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est tranquille, je ne sens ni trouble ni crainte ; & dans tout ce qui se passe en moi, la sincérité vis-à-vis de mon mari ne me coûte aucun effort. Ce n’est pas que certains souvenirs involontaires ne me donnent quelquefois un attendrissement dont il vaudroit mieux être exempte ; mais bien loin que ces souvenirs soient produits par la vue de celui qui les a causés, ils me semblent plus rares depuis son retour & quelque doux qu’il me soit de le voir, je ne sais par quelle bizarrerie il m’est plus doux de penser à lui. En un mot, je trouve que je n’ai pas même besoin du secours de la vertu pour être paisible en sa présence & que, quand l’horreur du crime n’existeroit pas, les sentimens qu’elle a détruits auroient bien de la peine à renaître.

Mais, mon ange, est-ce assez que mon cœur me rassure quand la raison doit m’alarmer ? J’ai perdu le droit de compter sur moi. Qui me répondra que ma confiance n’est pas encore une illusion du vice ? Comment me fier à des sentimens qui m’ont tant de fois abusée ? Le crime ne commence-t-il pas toujours par l’orgueil qui fait mépriser la tentation & braver des périls où l’on a succombé n’est-ce pas vouloir succomber encore ?

Pese toutes ces considérations, ma cousine ; tu verras que quand elles seroient vaines par elles-mêmes, elles sont assez graves par leur objet pour mériter qu’on y songe. Tire-moi donc de l’incertitude où elles m’ont mise. Marque-moi comment je dois me comporter dans cette occasion délicate ; car mes erreurs passées ont altéré mon jugement & me rendent timide à me déterminer sur toutes choses. Quoi que tu penses